LE PERROQUET CONFIANT
Cela ne sera rien, disent certaines gens,
Lorsque la tempête est prochaine ;
Pourquoi nous affliger avant que le mal vienne?
Pourquoi? Pour l'éviter, s'il en est encor temps.
Un capitaine de navire,
Fort brave homme, mais peu prudent,
Se mit en mer malgré le vent.
Le pilote avait beau lui dire
Qu'il risquait sa vie et son bien,
Notre homme ne faisait qu'en rire,
Et répétait toujours : Cela ne sera rien.
Un perroquet de l'équipage,
À force d'entendre ces mots,
Les retint et les dit pendant tout le voyage,
Le navire égaré voguait au gré des flots,
Quand un calme plat vous l'arrête.
Les vivres tiraient à leur fin;
Point de terre voisine, et bientôt plus de pain.
Chacun des passagers s'attriste, s'inquiète;
Notre capitaine se tait.
Cela ne sera rien, criait le perroquet.
Le calme continue, on vit vaille que vaille,
Il ne reste plus de volaille :
On mange les oiseaux, triste et dernier moyen !
Perruches, cardinaux, catakois, tout y passe;
Le perroquet, la tête basse,
Disait plus doucement : Cela ne sera rien.
Il pouvait encor fuir, sa cage était trouée ;
Il attendit, il fut étranglé bel et bien ;
Et, mourant, il criait d'une voix enrouée .
Cela... cela ne sera rien.
Illustration by Benjamin Rabier, 1936
Illustration by J.J. Grandville, 1842
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LE PERROQUET
Un gros perroquet gris, échappé de sa cage,
Vint s'établir dans un bocage;
Et là, prenant le ton de nos faux connaisseurs,
Jugeant tout, blâmant tout d'un air de suffisance,
Au chant du rossignol il trouvait des longueurs,
Critiquait surtout sa cadence.
Le linot, selon lui, ne savait pas chanter;
La fauvette aurait fait quelque chose peut-être
Si de bonne heure il eût été son maître,
Et qu'elle eût voulu profiter.
Enfin aucun oiseau n'avait l'art de lui plaire;
Et, dès qu'ils commençaient leurs joyeuses chansons,
Par des coups de sifflet répondant à leurs sons,
Le perroquet les faisait taire.
Lassés de tant d'affronts, tous les oiseaux du bois
Viennent lui dire un jour : Mais parlez donc, beau sire,
Vous qui sifflez toujours, faites qu'on vous admire;
Sans doute vous avez une brillante voix,
Daignez chanter pour nous instruire.
Le perroquet, dans l'embarras,
Se gratte un peu la tête, et finit par leur dire ;
Messieurs, je siffle bien, mais je ne chante pas.
Illustration by J.J. Grandville
Illustration by Maurice Leloir (1910 ca.)
Serie of twelve cards, engraved by Devambez in Paris, picturing and presenting Florian's fables.
Each illustration is signed by Maurice Leloir.
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FABLE XXXIII - L’habit d'Arlequin
Vous connaissez ce quai nommé de la Ferraillea,
Où l'on vend des oiseaux, des hommess et des fleurs:
A mes fables souvent c'est là que je travaille;
J'y vois des animaux, et j'observe leurs moeurs.
Un jour de mardi gras j'étais à la fenêtre
D'un oiseleur de mes amis,
Quand sur le quai je vis paraître
Un petit Arlequin, leste, bien fait, bien mis,
Qui, la batte à la main, d'une grâce légère,
Courait après un masque en habit de bergère.
Le peuple applaudissait par des ris, par des cris.
Tout près de moi, dans une cage,
Trois oiseaux étrangers de différent plumage,
Perruche, cardinal; serin,
Regardaient aussi l'Arlequin.
La Perruche disait: J'aime peu son visage,
Mais son charmant habit n'eut jamais son égal;
Il est d'un si beau vert! Vert! dit le Cardinal:
Vous n'y voyez donc pas, ma chère?
L'habit est rouge assurément,
Voilà ce qui le rend charmant.
Oh! pour celui-là, mon compère,
Répondit le Serin, vous n'avez pas raison,
Car l'habit est jaune citron;
Et c'est ce jaune-là qui fait tout son mérite.
- Il est vert. Il est jaune. Il est rouge, morbleu!
Interrompt chacun avec feu;
Et déjà le trio 1 s'irrite.
Amis, apaisez-vous, leur crie un bon pivert;
L'habit est jaune, rouge et vert.
Cela vous surprend fort: voici tout le mystère:
Ainsi que bien des gens d'esprit et de savoir,
Mais qui d'un seul côté regardent une affaire,
Chacun de vous ne veut y voir
Que la couleur qui sait lui plaire.